lundi 6 juillet 2009
Aznavour vs Ravi Shankar
Juillet 2007, Penang, Malaisie, il fait encore très chaud. Surplombant le village
d'en bas, bien perché du haut de mon onzième étage, je regarde la cime des cocotiers
virevolter au vent, brise assez forte provenant de la mer, juste quelques 300 mètres plus loin..
Mes fenêtres sont ouvertes, en face, je vois l'ile de Penang, séparée par ce bras de mer où s'entrecroise
les ferrys de passagers et les portes conteneurs géants. Au loin, quelques bateaux blancs, majestueux, s'en vont
certainement vers Langkawi, ensemble d'iles perdues dans l'archipel des adamans...
Ce soir, c'est "French Couisine".. à la demande générale de ma famille de cœur là bas...
Exit les chickens tandooris et autres mee goreng... je me dois de représenter la France et sa cuisine.
C'est une épreuve..et je suis attendu au tournant. Cependant, l'affaire est complexe, il va me falloir trouver
tout mes ingrédients ici... un gigot d'agneau, des flageolets, des champignons de Paris, et de la crème fraiche.
Rien de plus normal quand on est en France, rien de plus difficile quand tu es en Asie. La tache est dure, mission :
trouver un gigot entier. Je décide donc de sauter dans ma proton wira et d'aller à Kulim, ville à une quarantaine de
kilomètres que je connais bien. Mes amis m'ont dit..."Boleh lah..!! can lah, you will find your meat there in a special
chinese shop"...
What !!!, un shop chinois spécialisé dans les gigots ??? non, ce n'est qu'un importateur de viande provenant essentiellement
de nouvelle Zélande. Mission accomplie, j'ai trouvé mon gigot entier, je suis heureux.
Me manque pour mes escalopes à la crème, ... la crème. L'affaire se corse, personne ici ne sait ce que c'est de la crème
fraiche... autant demander à un européen des curry leave ou des lemon grass...
Aie... la seule solution qui me vient à l'esprit...c'est le carouf du coin !!! oui... il existe un méga carrefour même ici
à Penang. J'arpente les allées..et soudain..Oh miracle, une petite boite blanche et rouge attire mon attention. Je n'en reviens
pas... de la crème fraiche, marque paysans bretons, faite dans ma Bretagne natale. Façon Tex Avery, mes yeux sortent de leur
orbite.. je trépigne sur place...ma langue touche le sol !!!
Je continue sur ma lancée frénétique, la chance est de mon coté, direction le rayon des vins. Là encore, j'ai un sourire jusqu'aux
oreilles, j'aperçois quelques bouteilles de muscadet nantais, leurs étiquettes me font voyager jusqu'à Haute Goulaine.
Qu'importe le prix, c'est très cher, au moins quatre fois le prix payable en France, je veux impressionner toutes les demoiselles
et dames ce soir, en leur offrant un apéritif exotique pour elles, le fameux Kir cassis si plaisant à la grande majorité de la
gente féminine.
Au delà de tout, c'est aussi une belle expérience de sociologie, apprécieront elles ce standard français, elles qui sont habituées
au jus de mangue et à la coconut water.??
JE suis sauvé, ce soir, c'est repas de Gala pour mes amis asiatiques, ils sont tous dans leur starting block et je suis le maitre
de soirée, je sens la pression monter et je suis seul un peu désemparé. Heureusement, nisha est là, étudiante et petite sœur de cœur
de 24 ans, elle à décidé de devenir mon aide de camp, mon grouillot, mon commis de cuisine. "Loudo.. Loudo..what else, what next,,",
je suis assaillit par les questions mais je gère plutôt bien la situation, le temps de cuisson et le reste..
French cuisine, se doit de s'accompagner de French music, alors plongé dans mes CD, je trouve LE son qui s'accordera parfaitement
à cette ambiance Française, Mr Charles Aznavour.
Il me reste encore une ou deux bouteilles de St julien, ramenées précédemment de France lors de mes allers et retours.
Tout y est, les plats sont prêts, la musique de Mr Charles se diffusent dans tout l'appartement, les odeurs émanent du four, je me
crois en France. C'est surréaliste, les fenêtres restent ouvertes, je tends l'oreille en bas vers ce village et j’entends un autre
grand musicien, Ravi Shankar, maitre incontesté de la fameuse Sitar indienne.
Drôle d'impression, fabuleuse, je n'ai qu’à tendre l'oreille dehors et je suis en Asie. Un ou deux pas en arrière, je me retrouve
dans la cuisine de ma mère, les fumets de ce gigot me transporte à la vitesse de la lumière à plus de 14000 kms.
Ils sont là, mes invités se sont fait beau, je le remarque et c'est aussi une marque de respect très ancrée chez les asiatiques.
Quand on sort ici, tout le monde s'habille correctement, je suis impressionné par tant de savoir vivre.
Epoustouflées, c'est un succès, je le vois bien, le kir cassis à tenu toutes ses promesses, il plait tellement. Incroyablement simple et
si exotique ce muscadet nantais ici à Penang. Tout le monde discute, les yeux écarquillés... Saro, femme de Raman et excellente cuisinière
indienne n'en revient pas du gout de ces escalopes cuites dans du lait, c'est un concept jamais vu ici, dont le rapport simplicité / gout
la laisse sans voix.
Encore plus fort, je sors mes deux grandes caves en cristal ramenées de France, Raman et moi, seuls hommes présents s'octroyons le privilège
de nous affaler dans ce canapé rouge afin de siroter un bon St Julien. La musique de Mr Charles fait merveille, les yeux de mes convives
brillent.
Comme un combat, nous déplaçant dans ce grand appartement, les ondes sonores de la musique de Ravi Shankar s'entrechoquent avec celles
d'Aznavour, c'est encore une confrontation de géant. Alors je me prends à rêver d'un duo hypothétique de ces deux maitres, sifu de ce qui
se fait de mieux dans leurs cultures respectives.
Je suis le seul à comprendre Mr Charles, un peu aider il faut le dire par ces quelques verres de St julien, les paroles de "Emmenez-moi" prennent
une autre signification ici.
Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil
Je fuirais laissant là mon passé
Sans aucun remords
Sans bagage et le cœur libéré
En chantant très fort
Traînant un parfum poivré
De pays inconnus
Et d'éternels étés
Où l'on vit presque nus
Sur les plages
Moi qui n'ai connu toute ma vie
Que le ciel du nord
J'aimerais débarbouiller ce gris
En virant de bord
Piètre danseur que je suis, c'est à tour de rôle que Sharm, Sumi et Nisha m'extirpe de mon canapé pour tenter la valse sur cette musique.
Surréaliste, j'ai recréé la France dans cet appartement, dansant de surcroit avec les quelques plus belles femmes qui m'est été donné de
connaitre, sous le regard amusé des ainés, Raman et Saro qui semblent s'être rapprochés ce soir, encore main dans la main après plus de
quarante ans de vie commune.
Merci Mr Charles, vous avez raison, vous m'avez emmené au pays des merveilles, et la misère est bien moins pénible au soleil.
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